Quel est l’impact du Covid-19 sur les personnes exilées à travers l’Europe ?

 

Il va sans dire que les inquiétudes sont nombreuses concernant l’impact du Covid-19 sur les personnes exilé.e.s à travers l’Europe (et notamment pour les personnes sans papiers, celles confrontées à l’incertitude quant à leur statut légal, ou encore les personnes placées dans des centres de rétention administrative). Alors que l’extrême-droite et certains gouvernements européens ont commencé à tirer parti de l’expansion du Covid-19 pour alimenter des discours anti-migrants, il convient de souligner avec insistance qu’il n’est en aucun cas prouvé que ce sont les personnes exilées qui apporteraient le virus dans leurs pays d’accueil. En attendant, ce virus peut avoir des conséquences dramatiques si les communautés d’exilé.e.s, déjà marginalisées, et dont l’accès aux soins médicaux est souvent très restreint voire inexistant, sont touchées.

Par ailleurs, les mesures de protection et de prévention adoptées par plusieurs États européens, comme le confinement et la fermeture des services publics et des associations, pourraient affecter de façon disproportionnée les exilé.e.s, sauf si des actions compensatoires appropriées sont mises en place. Ces inquiétudes doivent susciter, de la part des gouvernements européens, l’adoption de plusieurs recommandations permettant de répondre de la manière la plus adéquate possible à cette crise sanitaire, afin de protéger aussi bien les populations d’exilé.e.s que les communautés d’accueil.

 

Dans les îles grecques surpeuplées

Dans les îles grecques, Médecins Sans Frontières (MSF) a dénoncé haut et fort la situation sur place,  indiquant que l’évacuation de ces sordides camps grecs s’avère plus urgente que jamais. En raison des conditions insalubres et de la surpopulation sur place, la menace d’une épidémie parmi les résidents de ces camps est extrêmement grave. Pourtant, aucune mesure ne semble avoir été mise en place pour lutter contre la propagation du virus. MSF explique que toutes les conditions sont réunies pour que le COVID-19 s’y propage, au vu de l’absence d’installations sanitaires adéquates et de l’accès extrêmement restreint aux soins médicaux. Ainsi, le risque de propagation du virus dans ces camps est très élevé.

Alors que l’Organisation Mondiale de la Santé continue de souligner l’importance du « distancement social » et que les gouvernements ordonnent des mesures de confinement en Europe, accompagnées de directives reprenant les recommandations sanitaires (comme se laver fréquemment les mains, etc) les personnes retenues dans les îles grecques ne sont pas en mesure de respecter ces précautions. RRE soutient pleinement MSF pour demander l’évacuation immédiate des 42 000 personnes qui se trouvent dans les camps des îles grecques, afin de les installer dans des lieux d’accueil appropriés. En outre, nous continuons à faire pression pour la relocalisation en urgence des enfants des îles grecques vers d’autres États membres de l’Union européenne.

 

A la frontière franco-britannique, dans le Nord de la France

En l’absence de mise à l’abri et d’un accompagnement adapté, les personnes exilé.e.s dans le Nord de la France survivent  dans des campements où les conditions de vie sont inhumaines. Les conditions sanitaires dans lesquelles sont maintenues ces personnes sont indignes et les rendent particulièrement vulnérables face à l’épidémie. En effet, les dispositifs sanitaires et les points d’eau font cruellement défaut (les rares installations sont souvent situées à des centaines de mètres, voire à des kilomètres des lieux de vie), ce qui implique qu’en cas d’infection, le risque de propagation du virus est extrêmement élevé. Enfin, étant exposées à un climat très froid et humide, auquel s’ajoutent le stress et l’épuisement générés par l’incertitude constante quant à leur situation et les expulsions quotidiennes de leurs lieux de vie, les personnes exilées courent le risque de présenter de graves complications en cas de contamination, et dont les conséquences peuvent être dramatiques.

Photo: Human Rights Observers

En outre, la détection des cas s’y avère quasiment impossible, car la plupart des personnes n’ont pas accès aux services de santé. Dans ces conditions, il est fort probable que ces personnes ne soient pas dépistées et traitées à temps. De plus, il est probable que les personnes exilées situées dans le Nord de la France ne puissent pas contacter par elles-mêmes les services d’urgence, ne disposant pas d’un téléphone portable ou n’ayant plus la possibilité de recharger leur téléphone depuis la fermeture des centres accueils de jour. Enfin, les mesures de confinement récemment adoptées viennent précariser encore d’avantage les conditions de vie sur ce territoire. En effet, les associations qui y intervenaient, et qui permettaient de répondre aux besoins fondamentaux des personnes exilées, ne sont plus autorisées à se rendre sur place pour y fournir les aides habituelles.

Aussi, RRE et l’ensemble des partenaires sur le terrain demandent aux autorités françaises d’adopter immédiatement des mesures sanitaires pour protéger aux mieux les populations, exilé.e.s ou non. L’adoption de mesures fermes pour la prévention et le contrôle de l’infection, une diffusion renforcée des informations dans les langues et les formats pertinents, l’identification et l’isolement rapide des cas existants et bien entendu, le traitement des personnes présentant des symptômes graves doivent être mis en place de toute urgence. Le droit à l’hébergement et au logement, ainsi que le droit à des conditions matérielles de vie décentes, respectant le principe de dignité de tous et toutes, doivent être appliqués de toute urgence, ainsi qu’une prise en charge spécifique des mineurs isolés étrangers présents sur ce territoire. RRE salue cependant la récente décision des autorités françaises prolongeant de 3 mois la durée de validité des titres de séjour (y compris les visa long séjour, les attestations de demande d’asile et les récépissés).

 

Les personnes retenues dans les centres de rétention administrative (CRA)

S’agissant des exilé.e.s retenu.e.s dans des centres de rétention administrative, les risques sont également majeurs. Comme cela a été souligné par le Global Detention Project, les personnes séjournant dans les centres de rétention administrative sont « fréquemment confinées dans des espaces où les équipements sanitaires sont insuffisants, où l’accès aux soins médicaux est restreint, et où elles sont trop souvent contraintes de vivre à plusieurs dans une même chambre ». Il semble clair que la seule option pour respecter le « distancement social » consisterait à placer les personnes en isolement total, une mesure qui, en soi, risquerait de détériorer leur santé mentale, raison pour laquelle il ne s’agit pas d’une alternative acceptable. Ainsi, les personnes retenues dans ces centres sont, elles aussi, confrontées à un risque accru de contamination.

Photo: Motortion Films

Nous soutenons pleinement l’appel lancé par le Board of Border Criminologies demandant l’augmentation du nombre de dépistages dans les centres de rétention administrative, et la remise en liberté des personnes lorsque cela est possible. Cela a été fait en Espagne, par exemple. Au Royaume-Uni, plusieurs avocats et activistes ont plaidé pour que les personnes placées dans des centres de rétention soient libérées car il existe dans ces centres « un risque réel de propagation incontrôlée du Covid-19 ». En France et en Italie, plusieurs associations appellent également à ce que les centres de rétention administrative soient fermés graduellement, afin d’éviter l’expansion de la maladie.

En France, un cas d’une personne retenue touchée par le virus a d’ores et déjà été rapporté dans le centre de rétention administrative de Lille-Lesquin. Les personnes qui y sont retenues ont publié une déclaration afin d’alerter les autorités et le public en général sur la gravité de la situation. Ils appellent également à la libération de toutes les personnes privées de liberté dans le cadre d’enfermement administratif des personnes étrangères. Outre l’argument sanitaire, les associations invoquent également le fait que les conditions légales ne sont plus réunies pour maintenir ces personnes en rétention, dans la mesure où, les frontières étant fermées, il n’existe pas de perspective de renvoi. Ainsi, le 19 mars, 10 personnes retenues au CRA de Cornebarrieu près de Toulouse, ont été libérées par le juge des libertés et de la détention, au motif qu’il n’existe pas de perspective d’éloignement.

 

Maintenir l’accès aux droits et aux services pour les exilé.e.s

Dans plusieurs pays européens, des mesures de prévention et de protection ont été adoptées pour éviter la propagation du virus. Parmi ces mesures, des institutions et des services publics ont été fermés, le personnel devant rester confiné et ne plus être au contact du public. Ces mesures pourraient avoir des conséquences dramatiques sur la garantie des droits fondamentaux des personnes exilées. En Belgique, par exemple, l’Office des étrangers étant fermé jusqu’à nouvel ordre, il n’est plus possible d’enregistrer une demande d’asile, et aucune solution alternative n’a été mise en place en attendant. En France, l’OFII a annoncé la suspension de toutes les procédures d’accueil du public en dehors de la procédure d’asile.

Cependant, de nombreuses administrations, dont les plateformes d’accueil des demandeurs d’asile (PADA) et les préfectures – et donc les guichets uniques pour la demande d’asile (GUDA) – sont fermées. Si le droit européen prévoit bien qu’un Etat puisse prendre des mesures suspensives temporaires en cas de circonstances exceptionnelles, à savoir, lorsqu’un Etat fait face à des arrivées massives, la situation actuelle ne justifie en aucun cas l’adoption de telles restrictions. La suspension des services institutionnels affecte également l’action des associations soutenant les personnes exilées. En France, par exemple, les associations qui apportent une aide juridique aux personnes étrangères retenues dans les CRA ont été contraintes de se retirer.

 

Il ne faut pas abandonner les exilé.e.s à leur sort

Dans l’ensemble, les autorités sanitaires de toute l’Europe doivent présenter des mesures sanitaires concernant les camps et campements de personnes exilées sur leurs territoires, et notamment des mesures de prévention et de contrôle de l’infection, la diffusion des informations dans les langues et formats pertinents, l’identification et l’isolement rapide des cas existants et bien entendu, le traitement des personnes présentant des symptômes graves du virus. La Commission européenne doit affirmer son influence afin de veiller à ce que les États membres de l’UE élaborent et mettent en œuvre de telles mesures.

Tous les États européens doivent indiquer clairement et de façon proactive que les personnes qui se présentent pour solliciter un dépistage et/ou des soins ne se verront pas confrontées à la menace d’être arrêtées ou expulsées. En outre, il est primordial que toutes les personnes vivant dans des conditions de vie insalubres aient accès à un hébergement adapté et inconditionnel, et que les expulsions s’arrêtent. Enfin, les personnes placées en centre de rétention doivent pouvoir accéder à un test de dépistage et être libérées.

En dépit des mesures de confinement et des fermetures des institutions et des organismes publics, le droit à l’asile doit être garanti dans toute l’Europe. Nulle suspension de l’enregistrement des demandes d’asile ou des services d’accueil ne peut se justifier par l’épidémie actuelle. Dans les pays où les associations et les prestataires de services publics doivent confiner leur personnel et fermer leurs bureaux, les gouvernements doivent assurer, d’urgence, la continuité de l’accès aux droits et à la garantie des besoins fondamentaux (alimentation, médicaments, vêtements, etc.), afin d’éviter d’accroître l’isolement des personnes vulnérables et d’assurer le respect de leur dignité, tout en stoppant la propagation de l’épidémie.

Photo: Zsuzsánna Fodor

Dans le contexte particulier des îles grecques, le gouvernement grec et les États membres de l’UE doivent agir pour garantir l’évacuation immédiate des 42 000 personnes qui s’y trouvent, afin de les accueillir dans des hébergements dignes et adaptés. Les États membres de l’UE doivent mettre en place un plan d’urgence pour relocaliser dans d’autres pays les quelques 1 800 enfants non accompagnés en provenance des îles grecques. Il ne s’agit ici que de quelques recommandations clés que les gouvernements européens devraient adopter afin de répondre de la manière la plus adéquate possible aux défis actuels – de manière à protéger les populations déplacées et les communautés d’accueil.  Les exilé.e.s, aujourd’hui plus que jamais, doivent être traité.e.s avec dignité, respect et humanité.

 

 

 

 

 

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